Une performance cinématographique – l’interview avec Nicolas Boone, réalisateur de Hillbrow (2014), Prix CAMIRA au Festival EntreVues – Belfort 2014
C’était avant Noël, Enrico, Tatiana et moi, nous sommes de nouveau retrouvés à Paris pour réaliser un entretien avec Nicolas Boone, à qui nous avons attribué le premier prix CAMIRA au Festival EntreVues à Belfort. Il nous a donné rendez-vous dans son atelier dans le 9ème arrondissement, non loin des Folies Bergère.
Être membre du jury dans un festival peut être considéré comme un “dream job“, il est pourtant pénible d’être obligé de choisir une seule et unique œuvre pour le prix. Finalement, nous avons attribué notre prix CAMIRA au court-métrage Hillbrow (2014) de Nicolas Boone pour diverses raisons, mais notamment pour la fascinante énergie dégagée dans ses dix plan-séquences qui nous ont tenus en expansion perpétuelle.
Afin de nous réchauffer un peu du froid, M. Boone nous a fait goûter un thé blanc qu’il a rapporté de Chine, où il a tourné le film Le Rêve de Bailu (2014), qui vient d’être programmé au Festival international du film de Rotterdam 2015 en avant-première mondiale…
Jing : Il est bon, le thé que tu nous as servi. Tu l’as trouvé où ?
Nicolas Boone : Je l’ai acheté en Chine, sur le marché de Bailu, dans la province du Sichuan.
Jing: Tu visitais la Chine?
N.B : Pas vraiment. L’artiste et performeur Zhou Bin (周斌) et l’artiste française Delphine Richer ont monté une résidence franco-chinoise, là-bas. La ville de Mâcon a donné des financements pour que deux artistes puissent participer à cette résidence. Voilà comment je me suis retrouvé à Bailu !
Jing : Le film que tu y as réalisé, Le Rêve de Bailu, c’était une commande du gouvernement ?
N.B : À vrai dire, oui : j’ai pensé puis réalisé le film un peu comme une commande.
En 2008, le village de Bailu a été détruit par un tremblement de terre et le gouvernement a décidé de le reconstruire « à la française ». Comme on était accueilli par les autorités locales, il ne fallait pas faire un film qui « dérange ». Je me suis dit : je vais faire un film où les gens sont heureux, où tout le monde sourit, comme dans The Truman Show. Les autorités voulaient un film promotionnel. Pour eux, il n’y a pas de différence entre un film d’artiste et un film promotionnel…
En France, on transforme les centres-villes ou les petits villages en villes fleuries, en « cités du bonheur » très propres, avec de belles couleurs, des fontaines, des colombages… Les villages sont très muséifiés. Là-bas, c’est encore plus extrême. Bailu était encore en cours de construction quand j’y étais. Les autorités voulaient étendre le village, qui était pourtant déjà très grand… Les gens qui vivaient là avant le tremblement de terre habitent à côté, maintenant, où ils construisent leurs nouvelles habitations. Dans le centre-ville de Bailu, il y a des hôtels et des boutiques pour les touristes, mais la plupart des maisons sont vides. C’est vraiment un décor, un décor inhabitable. Souvent, les maisons que cachent les « belles » façades sont très vétustes, assez insalubres. C’est un peu comme The World (2004), de Jia Zhang-ke : un parc d’attractions sans attractions. À Chengdu, la ville la plus proche, on voit beaucoup de réverbères style « vieille Europe ». En Chine, il y a vraiment un amour pour l’Europe, pour le Vieux Continent.
Jing : Il y a souvent des groupes immobiliers qui construisent les appartements dans un style européen pour mieux vendre leurs immeubles, comme un produit de luxe. C’est pour ça que, pour moi, Le Rêve de Bailu est comme un détournement d’une publicité commandée par le gouvernement. Quel a été le retour des gouvernants sur le film une fois qu’il a été fini ?
N.B : Ils aiment bien le film. Mais ce n’est pas la version finale que j’ai montrée là-bas. À l’époque, j’avais fait un petit montage spécial pour eux. J’avais monté le plan-séquence, il y avait beaucoup plus de monde, beaucoup de touristes qui marchaient dans les rues. Il n’y avait pas de texte, on n’entendait pas ma voix. C’était plus heureux. Finalement, à mon retour en France, je suis revenu au plan unique. Il est plus vide, plus triste ; on ressent le malaise ambiant. J’ai aussi refait tout le son. Cette version finale a été montrée au Festival de Rotterdam en avant-première mondiale.
Jing : Comment s’est passé le tournage ?
N.B : Une fois sur place, j’ai écrit un très bref scénario et dessiné un parcours que j’ai proposés à l’adjoint au maire du village. Il me fallait beaucoup d’acteurs, une foule variée, des musiciens, des chanteurs… Une logistique lourde. Il a tout accepté et ne m’a imposé qu’une chose : filmer la place du Cerf Blanc, dont il est très fier. Au final, au moins la moitié des scènes que j’avais écrites sont dans le film. Ce n’était pas évident, et le maire m’a beaucoup aidé. Je ne parle pas chinois, je ne connaissais personne. Par moments, il y avait une interprète, la seule personne grâce à laquelle je pouvais communiquer avec les gens. Le reste du temps, on communiquait par des gestes, des sourires, mais c’était difficile et épuisant… On est quand même arrivé à faire le film. Pour moi, ça reste aussi une très belle expérience humaine, cette rencontre avec les gens, là-bas. Ils ont beaucoup d’humour. Le dernier soir, on a organisé une projection sur la grande place du village. Il y avait beaucoup de monde, et les habitants ont aimé le film.
Enrico : C’est un protocole ? Quand tu tournes un film, tu le montres d’abord à ceux qui y ont participé ?
N.B : Exactement. C’est le deal. Comme je fais des films à petit budget, en général, je m’engage vis-à-vis des gens en leur disant : « J’utilise vos décors, vous jouez dans le film et en échange, l’avant-première vous appartient ! »
Enrico : Tu montres les films une fois achevés ou tu en montres les rushes, aussi ?
N.B : Pour L’Onduleur, un film que j’ai fait dans un petit village au Togo, en Afrique, on est venus avec un vidéoprojecteur. Et tous les soirs, je montrais les rushes aux habitants. J’ai aussi montré d’autres films, comme Le Mécano de la Générale, de Keaton, et des films muets. Ça me permettait de motiver les gens à m’aider à réaliser le projet, ce qui n’est pas facile. Et le fait de leur montrer des films, ça stimulait une énergie et un désir de participer au tournage.
Ces projections étaient de super moments. Pour la plupart des gens, c’était la première fois qu’ils voyaient un film « en grand ».
Enrico : C’est comme Flaherty chez les Esquimaux, sur le tournage de Nanouk. Il fait le film là-bas et, en même temps, les gens interviennent dans le processus de fabrication du film, développent la pellicule… C’est le principe de collaboration que Flaherty avait mis en place.
N.B : Oui. C’est aussi ce que faisait Medvedkine, avec son train qui l’emmenait de village en village et dans lequel il transportait tout son matériel de tournage et de projection. Il avait même un laboratoire de développement à bord.
Tatiana : Tu as fait trois écoles des Beaux-arts à Nancy, Paris et Lyon. Il y a des raisons particulières à ce triple cursus ? Le cinéma faisait-il partie de tes projets dès le début, ou il est apparu en cours de route ?
N.B : Avant de faire les Beaux-arts, j’étais déjà fasciné par le cinéma. Je n’étais pas forcément cinéphile, mais certains films me bouleversaient. Sauf que… comme je n’étais pas bon élève, je n’osais pas affirmer mon désir de faire du cinéma.
J’ai étudié aux Beaux-arts pendant huit ans. J’ai commencé en 1994 à l’école de Nancy, puis j’ai fait les Beaux-arts de Paris, où j’étais dans l’atelier de Jean-Luc Vilmouth. C’était formidable. J’avais vraiment le sentiment d’avoir une grande liberté et la possibilité de rencontrer beaucoup d’artistes. Ensuite, j’ai fait un post-diplôme à l’école de Lyon.
Ce qui était bien, c’est que j’ai pu essayer plein de choses : la photo, le dessin, la peinture, un peu de sculpture… Parallèlement, et dès ma deuxième année à Nancy, j’ai découvert ce qu’était l’« installation vidéo » et la performance, qui m’ont beaucoup inspiré. Chaque fois que le travail d’un artiste me « parlait », j’avais besoin de le refaire, comme un peintre qui refait les toiles des classiques. Quand je dis « refaire », ce n’est pas dans le sens de reproduire, mais de m’inspirer. J’ai « refait » Imponderabilia, par exemple – la pièce de Marina Abramovic et Ulay -, pour comprendre, pour voir comment on peut perturber le flux des passants dans la rue. J’étais fasciné par les performances du mouvement Fluxus. J’ai aussi réinterprété Région centrale de Michael Snow, mais à Paris dans mon cas, avec une caméra qui tournait dans tous les sens autour d’un porte-manteau-pivot. Je l’ai présenté en installation ; je faisais beaucoup d’installations, à ce moment-là.
Vers la fin de mes années aux Beaux-arts de Paris, juste avant mon diplôme, je suis parti un an à Vancouver. C’est là que j’ai vraiment associé les deux univers : celui de la performance et celui du cinéma. Et puis, pour mon diplôme de fin d’étude, j’ai réalisé un film dont la finalité était le moment du tournage : Un film pour une fois (2001). Quand le jury est entré dans la grande cour vitrée des Beaux-arts, je leur ai dit : « Bonjour, je vais vous présenter un film dans lequel vous allez jouer un rôle de figurant. À un moment donné, il y aura un mouvement et vous devrez vous asseoir. On vous guidera… Est-ce que vous êtes d’accord pour participer à l’expérience ? » Le jury m’a répondu « oui ». Alors j’ai crié dans mon mégaphone : « Ok, vous pouvez envoyer le film. » Et là, cent personnes sont arrivées dans la cour avec des flyers, tout un tas d’objets… Pendant dix minutes, il s’est passé plein de petites actions prévues au scénario : des gens arrivaient en rollers, on m’a apporté un pigeon mort avec un message accroché à la patte, que j’ai lu à voix haute… C’était souvent des citations de films ou de performances d’artiste, le tout très rythmé, comme dans un vrai tournage, avec toute son agitation : une équipe technique, des figurants, des acteurs, un scripte avec un scénario… sauf qu’il n’y avait pas de caméra. Ça aurait brisé la spontanéité ; je ne voulais pas de caméra. C’était un happening : pas de traces, même si j’avais demandé à quelqu’un de faire des Polaroïd qu’il posait à terre. Ça me plaisait, cette idée de trace fragile, poétique… de voir l’image se faire, littéralement.
J’aime bien considérer Un film pour une fois comme mon premier film. Je pense qu’il est très important par rapport à tout ce qui a suivi, parce qu’il y avait plein d’outils mis à disposition et tout un programme à développer.
Tatiana : Mais après, avec Lost Movie et Plage de cinéma, tu as transformé cette idée de « tournage » en images filmées. Pourrais-tu nous parler un peu de l’esprit qui a guidé ces travaux : des références à différents genres, dont la série B, et la mise en abîme du processus de fabrication cinématographique ?
N.B : Après Un film pour une fois, j’ai fait Une autre fois pour un film, puis Une fois pour un autre film. J’ai un peu creusé le concept. Quelque part, j’avais peur de filmer des images, ou plutôt je n’en avais pas envie, comme si le tournage était plus intéressant qu’un film que personne n’irait voir. C’est l’excitation du tournage qui me motivait. C’est très ludique, un peu comme les enfants qui jouent en « faisant semblant ». Puis mes tournages ont commencé à se transformer en fête. Le premier tournage que j’ai filmé – littéralement : il s’agissait de filmer le tournage –, c’est Lost Movie (2003). Je l’ai fait alors que j’étais en résidence à La Caserne, une ancienne caserne militaire, à Pontoise, qui a été transformée en résidence d’artistes. Des journées « portes ouvertes » se préparaient. Je me suis dit que j’allais réaliser un film de guerre dans la cour d’honneur et que les visiteurs seraient invités à en être les figurants. Du coup, j’ai écrit un scénario inspiré de la Grande Guerre, des scènes faciles à mettre en place que j’avais vues dans des films ou que j’ai imaginées. Le personnage principal du film, c’était la foule : on devait avoir en permanence une foule à l’image. Comme j’avais peur que les figurants s’ennuient et partent, je les sollicitais en permanence. J’ai fait appel à des amis pour filmer. La caméra principale du film, c’était une Super 8, mais il y en avait d’autres, pour disposer de plusieurs points de vue, car je voulais qu’on ne loupe rien du tournage puisque c’est lui que je filmais, justement. Ça a été très festif, avec un DJ qui passait des disques, du vin en abondance…
C’est un film que j’ai peu montré. Je l’ai projeté aux gens qui y ont participé. Il est aussi passé dans un festival de films de danse. Mais encore une fois, l’essentiel, c’était de tourner !
Ensuite, en 2004, j’ai écrit un projet de performance cinématographique pour obtenir une subvention et ça a marché. J’ai eu un petit financement qui m’a permis de réaliser Plage de cinéma. L’idée première, c’était de faire un film qui commence à marée haute et se termine à marée basse. On a affrété un car pour emmener des figurants sur une plage de la mer du Nord. J’ai choisi un week-end de pleine lune pour avoir une grande marée, et j’ai tout calculé pour que le car arrive à marée haute et reparte à marée basse. On avait deux jours, un samedi et un dimanche. Et il a fait beau, donc beaucoup de promeneurs qui passaient là ont intégré le tournage ! Du coup, c’est devenu un film très peuplé. Il est heureux, plein de vie ! Et puis, la plage, ça fait toujours rêver… C’est le premier film que j’ai montré aux Rencontres Internationales. Il a eu une petite vie, il a pas mal circulé sur internet, il y a eu des projections dans des squats, des bars… Ça m’a vraiment encouragé à en faire d’autres. Mais quelque part, j’étais un peu frustré, car ce n’était pas un film qui parlait de choses importantes, de « vraies » choses. C’était plutôt un « vrai moment ».
Cette même année, j’ai fait une résidence à la Synagogue de Delme, un centre d’art. Je voulais faire un film dur, plus dramatique, qui parle de choses « importantes ». Et j’ai réalisé un film plus « gore », mais toujours assez festif : Fuite. Un peu comme Plage de cinéma, c’est une fiction qui ne raconte aucune histoire, mais avec plein de morceaux de films emboîtés : un film très fragmentaire, presque du VJing. Cette fois, le décor était un petit village avec un lac, des champs. Il y avait une boutique Emmaüs à proximité, avec plein d’imperméables. Du coup, pour rien du tout, j’en ai acheté cent ! J’ai habillé tout le monde avec, comme si c’était le bleu de travail des acteurs : l’imperméable, et en plus un chapeau. Une citation de Jean-Pierre Melville et du film noir américain !
À chaque fois, avec chaque film, je tente d’en finir avec le cinéma, avec mon désir de faire du cinéma. Mais, toujours, de nouvelles idées me rattrapent…
Enrico : Et comment tu t’y prends par rapport à la technique, à la prise de vue et au type d’image ? Du côté du support, est-ce que tu as des préférences prédéfinies ou ça dépend du projet ?
N.B : Pour Fuite comme pour Plage du cinéma, Lost Movie, Portail, La Nuit blanche des morts vivants et La Transhumance fantastique, j’ai travaillé avec plusieurs caméras, mais il y en avait toujours une principale, pour laquelle je storyboardais chaque plan. Je communique beaucoup par le dessin, avec le cadreur. C’est important parce que je ne cadre jamais mes films : je ne veux pas être derrière la caméra, coincé avec des problèmes techniques. Je préfère m’occuper de l’agitation du tournage.
Enrico : Après, tu as présenté ces films dans des festivals ou tu les faisais plutôt pour des expositions ?
N.B : La diffusion des films en galerie ou en festival n’est pas si évidente ! Oui, j’ai eu quelques occasions, surtout pour Plage de cinéma. Je l’ai montré à l’espace Ricard, par exemple. C’est le film qui a le plus tourné, parce que c’est un film plus « pop » que les autres. Alors que pour Fuite, Portail, La Transhumance fantastique ou BUP, c’était plus problématique. Mais avec le temps, j’ai compris qu’il fallait savoir se contenter d’une seule bonne projection… et cette projection, c’est souvent celle que je fais sur le lieu des tournages, avec les gens qui y ont participé. En fin de compte, c’est normal : ce sont des films souvent assez fous qui ne captent pas si facilement la sensibilité du spectateur… donc c’est plus facile d’accès pour les gens qui ont participé au tournage, parce que ce qui est central, pour eux, c’est justement le moment du tournage.
Je fais souvent des éditions DVD, aussi. C’est important pour finir un film. C’est comme un prolongement et un substitut à la diffusion ! J’ai travaillé avec les éditions èRe, puis avec Écart, un éditeur de films d’artistes. Avec les DVD, les films continuent à exister et à circuler. Ils existent aussi sur internet mais, sur internet, je sais par expérience qu’ils sont peu vus, ou mal vus…
Jing : Sur ton site, j’ai vu un film en DVD interactif…
N.B : C’est Portail, un film que j’ai tourné dans un château et son parc, en région Centre. J’ai voulu faire un film total, qui épuise tous les genres : western, film gore, film classique, film « à histoires », film de vampires, film de zombies… Chaque façade du château m’avait inspiré de nouvelles scènes.
Le projet, c’était de réaliser un film aléatoire, un film qui pourrait être pris « en cours de route ». Chaque spectateur entre dedans au hasard : la première image du film qu’il voit est donc forcément différente de celle que voit un autre spectateur. Pour moi, c’est un film idéal pour une installation. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’histoire, au contraire ! Il y a une multiplicité d’histoires. Après, chacun peut inventer son scénario. La foule de figurants était une foule de zombies qui n’arrêtaient pas de mourir et de renaître, le sujet idéal pour un tel projet !
Pour fabriquer le DVD, j’avais rencontré un ingénieur qui a programmé un menu complètement aléatoire : les cinquante scènes du film passent les unes après les autres puis le cycle des cinquante scènes recommence, mais dans un autre ordre. J’ai présenté quelques fois le film en installation, mais le DVD a beaucoup circulé.
Ensuite, j’ai fait La Transhumance fantastique (2006) où, comme pour Portail, j’ai eu l’idée du dispositif avant de faire le film. Je voulais faire un DVD qui s’autodétruirait, un DVD que l’on ne pourrait lire qu’une seule fois. À l’époque, ce type de DVD se vendait beaucoup dans les gares. C’était un substitut à la location ou, parfois, simplement un objet promotionnel. C’était complètement contre-écologique, mais ça m’intéressait beaucoup par rapport au sujet du film dont j’avais l’idée !
J’avais proposé un projet de résidence à Périgueux et j’ai été invité à le réaliser : un long travelling sur un vrai chemin de fer. Quand je suis arrivé en Dordogne, j’ai cherché ce vieux chemin de fer et j’en ai trouvé un long de vingt kilomètres. Puis m’est venue l’idée du western. Alors j’ai transposé le genre à la Dordogne : on irait dans le sud pour s’installer à la campagne et chercher non pas de l’or, mais le vert, la nature. Du coup, les personnages ne sont pas des cowboys : ce sont des rurbains qui cherchent la Nature, la vraie nature. Ils sont accaparés par des promoteurs qui leur vendent des maisons autodestructibles d’une durée de vie de dix ans, au bout desquels elles s’autodétruiront. Les « rurbains » sont enfermés dans ces lotissements, mais toujours à la recherche de la nature, alors ils finissent par devenir des animaux… des cannibales, même, et ils se mangent les uns les autres. C’est une histoire tragique. Au final, ça donne un film de cinquante minutes, très performatif !
Tatiana : Dans BUP, comme dans La Transhumance fantastique, les institutions apparaissent comme des instances qui règlementent la vie des gens à partir de principes arbitraires, souvent basés sur de beaux discours. Cette critique sociale, toujours avec un humour décalé, semble rejoindre le détournement de la forme que tu opères dans tes films…
N.B : Oui. Dans La Transhumance fantastique apparaît la figure du promoteur qui fait des discours et qui essaie d’accaparer et de manipuler les gens. Ensuite, je suis « tombé » dans la série BUP. « BUP », c’est une marque, comme « Coca-Cola » ou « Google ». Elle contrôle tout. Ce n’est plus la politique qui gouverne le monde, c’est la publicité, c’est la marque « BUP ».
J’ai fait neuf épisodes à l’occasion de neuf résidences et, à chaque fois, j’ai associé la marque à un univers différent : une ville différente, un décor différent, un genre différent…, et à un autre film : par exemple, pour BUP Ball, c’est Rollerball (de Norman Jewison, 1975). Le spectateur ne le reconnaît pas forcément, car c’est une influence, pas un remake littéral : je prends beaucoup de liberté sur le film-modèle. Ce qui caractérise la série BUP, aussi, c’est que chaque épisode se construit sur celui qui le précède. Le premier que j’ai fait, c’était en région parisienne, dans plusieurs vélodromes : BUP Ball. BUP est donc associé à l’univers sportif, dans cet épisode-là.
À l’étalonnage, on a donné une couleur différente à chaque épisode mais, en fin de compte, on s’aperçoit que c’est toujours un peu le même : on y retrouve les personnages principaux et la marque « BUP ». Malgré tout, l’univers BUP évolue d’épisode en épisode, jusqu’à devenir terrible…
Quand j’ai entamé cette série, mon angoisse était de finir par faire toujours le même épisode. C’est pour ça que j’ai cherché à faire des épisodes radicalement différents les uns des autres. Je tentais d’aller toujours plus loin, pour épuiser le concept et tous les genres possibles, aussi : film sportif, scientifique, bio, politique, western, architecture… J’ai vraiment essayé d’en finir avec le cinéma, encore une fois … et d’en finir avec BUP !
J’ai fait éditer un coffret qui rassemble tous les épisodes et que j’ai appelé BUP Total.
Tatiana : Tu as mentionné plusieurs supports d’image et plusieurs formats. Dans BUP, puis dans TransBUP, tu as travaillé avec des images « tournées » dans un milieu virtuel. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette méthode hybride ?
N.B : J’avais envie d’explorer le monde virtuel. C’était important pour moi. Je l’ai d’abord fait avec MetaBUP (l’épisode 4 de la série). C’est un machinima que j’ai réalisé avec Johann Van Arden, un geek capable de créer très rapidement des avatars et des décors virtuels. On a acheté une SIM dans Second Life, un espace où on a construit un building avec, à chaque étage, un décor différent. On a invité des geeks à venir participer à un tournage sur notre SIM avec leur avatar. Chris Marker est venu au rendez-vous, entre autres ! Dans MetaBUP,son avatar a un chat sur l’épaule.
Après avoir fini la série, je me suis dit qu’il fallait faire « BUP, le film » : TransBUP, où on retrouverait chaque univers de chaque épisode « BUP ». Avec Marianne Tardieu, j’ai écrit un scénario plus « classique » que ceux qu’on trouve dans la série. On a tourné dans la ville et la région d’Annonay, au nord de l’Ardèche, où l’on m’avait invité en résidence. C’est là que les frères Montgolfier ont lâché la première montgolfière. Cette coïncidence m’intéressait beaucoup, car la montgolfière est un support publicitaire idéal, que j’avais d’ailleurs imaginé comme premier support BUP… Le scénario a été écrit autour de cette anecdote, comme siBUP se réappropriait l’Histoire avec un grand « H » ! Le récit du film se déroule à la fois dans le monde virtuel et dans le monde réel : trois personnages en lutte contre le système cherchent à semer les agents BUP dans le monde réel et dans le monde virtuel.
C’était un projet très ambitieux. Certains moments marchent mieux que d’autres… Si le film était à refaire, je simplifierais le scénario, je développerais les scènes où les acteurs sont avec leurs écrans dans la nature, scènes que je trouve très belles. Et je ne tournerais que celles-là.
Tatiana : Je pense que le film marche bien dans l’équilibre qu’il trouve entre les mondes réel et virtuel, parce que l’un n’est pas tout à fait le miroir de l’autre : on y avance en parallèle. Tu as trouvé une façon d’articuler les deux univers sans qu’on ressente l’idée de correspondance.
N.B : Oui. Et les deux mondes se rejoignent à la fin.
J’ai toujours beaucoup aimé eXistenZ (1999), de David Cronenberg, et je m’en suis inspiré pour TransBUP. (au passage… un autre film de mes films-cultes : Invasion Los Angeles[They Live, 1988] de John Carpenter. BUP vient beaucoup de là).
Le tournage de TransBUP a été très court. Il n’a duré que six jours, avec beaucoup de scènes où il y avait plein de figurants. On a squatté des événements, comme je l’avais déjà fait dans BUP, où j’ai tourné au milieu de véritables compétitions dans des vélodromes, ou des courses de motos. J’ai aussi filmé mes promoteurs BUP dans la foule du carnaval de Dunkerque, par exemple. Injecter ma fiction dans le réel, c’est ça qui m’intéresse ! C’est vraiment très important, pour moi, et ça remonte à loin, au jour où j’ai vu Frissons dans la nuit (Play Misty for Me, 1971), de Clint Eastwood. Le héros fait un reportage dans un festival de jazz, et puis, à un moment, la fiction intègre le festival, le film intègre vraiment le festival. Après avoir vu ce film, j’ai toujours eu envie de faire ça, de tenter l’expérience. Et je l’ai fait !
Tatiana : On parlait de filmer dans le milieu virtuel et de machinima. Or quand j’ai vuHillbrow pour la première fois, à Belfort – à ce moment-là, je ne connaissais pas ton travail -, ça m’a tout de suite fait penser à l’univers de certains jeux vidéos, notamment GTA (Grand Theft Auto, Rockstar Nort, 1997). Il t’a effectivement inspiré ?
N.B : Absolument. J’ai utilisé GTA et dix autres jeux vidéo dans TransBUP. C’était un gros travail, car il fallait créer les trois avatars (ceux des personnages en lutte contre BUP) dans les dix univers, sans compter les décors, les parcours… On a tourné des scènes dans The Sims (Electronic Arts, 2000), dans Second Life et dans GTA (par exemple la scène avec les taxis jetés sur les immeubles par un des trois avatars).
Pour en revenir à Hillbrow… À partir du moment où j’avais décidé que la caméra suivrait les acteurs, je savais qu’on se retrouverait dans un dispositif qui évoquerait le jeu vidéo : dansCounter-Strike (Valve/Turtle Rock, 1999) ou GTA, on « suit » littéralement les avatars. DansHillbrow, le premier plan, avec l’adolescent sur un toit, fait très GTA.
Tatiana : Ça m’est venu plutôt après, en fait, surtout pendant la scène du braquage dans le cinéma, ou alors avant, dès le deuxième plan, avec le promeneur qui se fait attaquer : c’est déjà une caméra de jeu vidéo, pour moi. C’est vraiment l’association entre une caméra fluide, qui suit un corps en continu, et la violence extrême. Tu avais élaboré quelque chose là-dessus ?
N.B : Dès le début, j’étais conscient que ça pouvait faire jeu vidéo, mais ce n’était pas un but en soi. Cela dit, c’est sûr que le dispositif du film et le décor d’Hillbrow y font penser.
Au départ, Hillbrow devait être un film muet : les acteurs ne devaient pas parler car, pour moi, ce sont les corps, les costumes, les accessoires qui « parlent ». J’ai donné aux acteurs un parcours à suivre et quelques directions, pour qu’ils aient des gestes à faire, assez précis, d’ailleurs. Mais je ne leur ai pas dit : « Parlez ». Parfois ils parlent, ils chantent… Plein de choses se passent malgré moi et j’ai laissé faire, parce que ça m’a plu.
Jing : Tu as un rapport assez organique avec les endroits où tu te trouves quand tu fais un film. Je me dis donc que tu t’intéresses aux gens qui y vivent, à leurs gestes… Mais en même temps, j’ai l’impression que tu préfères les mettre en scène plutôt que les filmer tels qu’ils sont. Y a-t-il des raisons spéciales à cela ?
N.B : On peut prendre Hillbrow comme exemple. J’étais en résidence en Afrique du Sud en 2012 et la première fois que je suis allé à Hillbrow, je n’ai pu y passer qu’une journée. Je me suis baladé là avec un jeune qui m’a montré le quartier. La densité, la population, le mouvement, l’architecture, le décor… tout m’intéressait – le côté très détruit, très post moderne de ce quartier qui ressemble à Brooklyn, mais en ruines. Hillbrow se trouve sur une colline à côté du centre-ville de Johannesburg qui, lui, est beaucoup plus dense et me semblait moins cernable, trop grand. À Hillbrow, j’ai pu faire le tour de la colline en une journée. Et puis je sentais que je pouvais apprivoiser ce quartier. Plus tard, j’y suis revenu avec l’idée de faire un film et j’ai commencé par marché dans le quartier, guidé des jeunes. Je cherchais le cœur de la ville dans les parkings, dans les immeubles… Et j’ai rencontré beaucoup de gens qui m’ont raconté plein d’histoires. La plupart du temps, c’étaient des histoires « trashs ». Des junkies dans leur squat m’ont raconté pourquoi ils avaient fait de la prison, d’autres personnes comment elles s’étaient fait braquer dans un supermarché la semaine d’avant. Je n’ai rien enregistré ; j’ai écouté et retenu. Puis j’ai écrit le film en faisant des synthèses de ces histoires, et j’ai associé chacun de ces petits récits à un parcours dans le quartier. Vu l’économie très réduite du projet, j’ai dû me limiter à dix plans séquences. Il y a eu beaucoup de préparation en amont et une concentration intense pendant le tournage, pour que chaque plan soit fluide. On avait organisé un casting et cent cinquante personnes motivées par le projet sont venues. Comme d’habitude, je me suis engagé à revenir leur montrer le film une fois qu’il serait fini. Les gens ont accepté le deal, et le film a pu se faire.
Enrico : Tes mises en scène sont extrêmement complexes et on ressent le côté fictionnel de tes films mais, en même temps, tu préserves des conditions de tournage qui ne peuvent pas être totalement contrôlées.
N.B : Tourner ces plans séquences a demandé beaucoup de concentration, mais nous a aussi procuré beaucoup de plaisir. J’ai retrouvé le côté ludique et très performatif de mes « films pour une fois ».
J’essayais de motiver tout le monde pour que la première prise soit la bonne. Parfois ça marchait. D’autres fois, il fallait refaire la prise une, deux… trois fois : la quatrième était la meilleure. Pour la scène du stade, c’est la première prise qu’on a gardée. C’était une scène très compliquée à réaliser : pour qu’on voie le visage du type quand il s’assoit, il fallait être là aux premiers rayons du soleil, donc tourner à cinq heures du matin. Le jour de la prise, le ciel était très couvert mais, pile au moment où le type s’est retourné, il y a eu une éclaircie ! On était vraiment tributaire du moment présent. Le bruit très étouffé du sifflet matinal du train existe vraiment, on n’a pas triché. On entendait aussi le chant des oiseaux. C’était un moment incroyable !
À chaque scène, des événements heureux et pas calculés se sont produits, comme l’entraînement des pompiers, par exemple, ou l’apparition d’un bébé dans un couloir…
Tatiana : Certaines personnes réagi après avoir vu le film, l’accusant d’être raciste. Je me demande si tu es au courant.
N.B : Oui, il y a polémique. À Marseille, j’ai eu des retours comme ça. Même l’autre jour, après une projection à Paris, quelqu’un m’a dit qu’on ne pouvait pas faire un film pareil à Johannesburg, parce qu’on n’y parle pas de l’Apartheid. À Johannesburg, il y a aussi des blancs, oui… mais pas dans ce quartier. Et ce n’est pas un documentaire sur la vie à Hillbrow, c’est une fiction. Ce sont des tas d’histoires que l’on m’a racontées et que j’ai réécrites, parfois intensifiées, déplacées dans un autre contexte, le tout condensé sur 32 minutes. Ce sont encore des fictions injectées dans le réel.
Tatiana : Les gens qui disent cela n’ont pas expliqué en quoi ils trouvaient le film raciste. Je suppose que la critique est basée sur une impression de représentation spectacularisée d’une violence incarnée par des corps noirs, une représentation qui se présenterait comme le portrait d’un quartier qui, en plus, donne son titre au film.
N.B : On peut comparer la situation à celle de mon film tourné en Chine : les gens voudraient voir un film promotionnel sur Hillbrow, un film où tout le monde sourit, tout le monde est content, où tout est propre, tout est beau. Un film qui dise : la vie est belle dans ce quartier de Johannesburg. Or ce n’est ni un film promotionnel, ni un film de propagande. Pour moi, la raison pour laquelle Hillbrow fait polémique est due à son dispositif même, auquel on n’est pas habitués : c’est un film tendu, qui raconte plein d’histoires, pas unehistoire. Ces scènes dures sont montées les unes à coté des autres sans liant narratif : on est face à un condensé de violence. Et le fait que ce soient des plans séquences, et rien que des plans séquences, ça intensifie encore plus cette tension : on a peur que le plan coupe, que ça « casse ». C’est très éprouvant, pour le spectateur.
Enrico : Pour moi, ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a presque pas de dramaturgie, mais seulement : « action + action + action », une chose après l’autre. Même si le développement de chaque séquence est évident, on a l’impression que tu as retiré tout ce qui s’est passé « avant » qu’elle ne commence.
N.B : Exactement ! On est exclus, on ne sait rien de ces gens, il n’y a pas d’affect. C’est « juste » un enchaînement d’actions. Alors ceux que ça dérange disent que le film est raciste ou violent.
Je l’ai montré à Hillbrow, où… pour d’autres raisons… ça s’est mal passé ! Les gens étaient contents de me revoir, ils ont bien rigolé pendant la projection et ils ont applaudi à la fin, mais après, pendant le débat, ils disaient que voir des gens qui marchent, c’est ennuyeux. Ils s’attendaient à un film d’action américain !
Tatiana : Et ton prochain projet ?
N.B : Je suis en plein dedans ! Ce sera au Sénégal. C’est un peu la suite d’Hillbrow… et deL’Onduleur, aussi. Un jour, un type m’a dit qu’il aimerait bien qu’il y ait une suite àl’Onduleur. Qu’est-ce qui peut se passer après le départ des populations des villages, une fois que la modernité s”est effondrée ? Ce sera un Hillbrow rural, peut être…
Cet été, je suis allé dans un village du Sénégal qui se trouve à trois heures de voiture de Dakar. C’est un village très pauvre, mais étrangement doté d’un « campement » qui peut accueillir des visiteurs. Je me suis projeté dans un avenir proche, j’ai imaginé le village déserté de sa population et j’ai écrit un scénario où tout le monde serait parti, sauf ceux qui ne peuvent pas le faire : les fous, les handicapés, les vieux et des enfants ‒ des enfants soldats qui, eux, restent par choix. Il n’y a plus rien à manger a priori, mais des groupes d’individus subsistent malgré tout. Ils errent, dans une économie de survie. Ils sont très cruels entre eux, y compris au sein de leur propre groupe. Quand ces bandes se rencontrent, il y a des altercations. Voilà, en gros, le scénario. Au niveau technique, ce sera tourné en un seul plan séquence. Un film de trente minutes ou de plus d’une heure, je ne sais pas encore, mais j’ai bien le parcours en tête. Cet été, j’ai rencontré quelques acteurs, aussi, dont certains joueront sûrement dans le film. Enfin, techniquement, on travaillera avec le même objectif que pour Hillbrow, un 35mm.
Dans mes films, habituellement, il y a toujours beaucoup de monde. Là, au contraire, il y en aura très peu : on ressentira une absence, un peuple qui manque. J’apporterai un vidéoprojecteur dans le village, car montrer des films, là-bas, c’est décidément toujours un événement. Et je montrerai les rushes, aussi.
Tatiana : Donc tu es à fond dans l’idée de plan séquence et de travailler avec la notion de perception continue.
N.B : Oui, en jouant avec le rythme, aussi. J’aimerais beaucoup travailler sur l’ennui, avec des plans longs, parce qu’en Afrique, il ne se passe pas grand-chose. J’ai regardé plusieurs fois L’Homme sans nom (2009) de Wang Bing. Cet homme-là est toujours en train de faire quelque chose : il mange, il jardine, il récolte… Il est toujours actif, il ne s’arrête jamais. J’aime beaucoup ce personnage, et j’ai d’abord pensé m’inspirer de lui pour écrire ce nouveau projet. Mais finalement, ce n’est pas ça que je veux pour ce film-là. Je veux des moments très longs, ennuyeux, où l’on ne ressente rien d’autre que le temps qui passe. J’ai aussi pensé à Michael K, sa vie, son temps (Life & Times of Michael K, 1983) de J.M. Coetzee, un écrivain d’Afrique du Sud. Le protagoniste a fui la ville et vit dans une grotte à la campagne, comme un ermite, un peu comme celui de L’Homme sans nom. Il y a plein d’autres exemples d’êtres un peu sauvages comme ça.
Quelque part, BUP, c’est la modernité. Une fois que tu enlèves « BUP », il n’y a plus rien. Il y a le silence, il y a l’attente. J’aimerais vraiment faire un film où il n’y aurait plus personne.
Jing : Tu aimes bien l’Afrique, non ? Tu y retournes assez souvent.
N.B : Oui, l’Afrique m’inspire beaucoup. Pour moi, c’est la terre de l’anticipation : l’effondrement a déjà eu lieu ; les Africains sont dans l’ère de « l’après ». C’est le monde postmoderne par excellence. Peut être qu’ici, en Europe, en Occident, nous vivons la même évolution, mais elle est plus évidente, là-bas.
Jing : Est-ce que tu considères que tes films portent une certaine forme d’engagement politique ?
N.B : Chaque fois, je tente de montrer l’essentiel. La nécessité, pour moi, ce n’est pas de dénoncer, mais de montrer ce qui est important.
Lors d’un premier voyage à Johannesburg, j’ai fait un film à l’occasion d’un workshop à Kliptown, un township de Soweto. Les gens y paraissent heureux, l’idée de bonheur émerge de façon évidente alors que la réalité de Kliptown est complètement différente : dès qu’il fait nuit, les rats sortent de partout, il y a beaucoup de gens complètement soûls, beaucoup de viols, beaucoup de malades du Sida. C’est un bidonville très dur, mais on ne le voit pas du tout à l’écran.
Hillbrow montre davantage ce que l’on ne veut pas voir, ce dont on ne veut pas parler. Un peu comme l’a fait Jia Zhang-ke avec son dernier film, Touch of Sin (2013), que j’aime énormément. Son écriture (inspirée de trois faits divers) et son montage sont extraordinaires. C’est un film d’action très dur, d’ailleurs censuré par le gouvernement, dans lequel Jia Zhang-ke montre radicalement ce qu’on ne veut pas voir. Ce geste-là, pour moi, c’est évidemment un geste très engagé.
(Propos recueillis à Paris par Tatiana Monassa, Enrico Camporesi et LU Jiejing, le 18 décembre 2014)
Texte: LU Jiejing
Une performance cinématographique – l’interview avec Nicolas Boone, Réalisateur de Hillbrow (2014), Prix CAMIRA au Festival Entrevues Belfort 2014 was last modified: April 29th, 2015 by admin
Entrevues Belfort 2014, Hillbrow (2014), Nicolas Boone
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