propos recueillis par Nicolas FEODOROFF
– De l’Afrique à un futur que l’on devine lointain, le spectre est large. Selon quelle nécessité ?
Pour traiter la thématique de la dépossession, pour ne pas passer à coté, et même, pour tenter d’en épuiser les aboutissants, je savais que j’avais besoin de plusieurs titres, de plusieurs scénarios, de plusieurs lieux de tournage, de plusieurs temporalités. En bref, d’explorer un ensemble de blocs spatio-temporels. Je voulais qu’un vaste hors champs agisse sur l’ensemble des chapitres, de sorte qu’il télécommande l’onduleur, ou pousse les protagonistes et foule d’EXPANSION à disparaitre sous l’océan… ou fasse apparaitre / disparaitre le prédicateur de LA FIN DE LA MORT qui arrive de nulle part, d’aucune époque. Ou encor, faire tourner à l’infini PATTERN, allégorie des réseaux sociaux ou autres lieux d’Entertainments où la gratuité masque le fait que les utilisateurs deviennent des proies…
Je dirai aussi que, de manière très métaphorique, ce hors champs qui agit par des techniques différentes, c’est l’avatar de la caméra, de la machine cinéma ou encore la cyberculture qui bouscule cette dernière. Il me semble que depuis sa naissance le cinéma a toujours cherché son avatar, comme par exemple le vampire ou le jeu vidéo.
– Comment se sont élaborés les différents chapitres ? Notamment leur écriture que l’on imagine obéissant à des règles différentes selon les lieux ? La part des protagonistes ?
Quand j’ai attaqué l’écriture du projet, j’avais cinq chapitres en tête. Or, après chaque tournage, j’ai voulu réécrire les chapitres pour en opérer une synthèse. L’écriture des chapitres est empirique. J’ai d’abord trouvé une résidence d’artiste (Vaste et Vague) en Gaspésie au Québec, qui m’a aidé à mobiliser des gens, et à construire sur place une équipe de tournage. Pour l’Afrique, quelqu’un m’avait parlé d’un fixeur au Togo, pays Vaudou, qui pouvait nous accueillir dans son village natal. Je suis alors parti avec une mini équipe. Le studio TV quant à lui a été monté aux Laboratoires d’Aubervilliers (centre d’art), qui a accueilli le projet de tournage. Et la cave de Pattern, je l’ai découverte lors d’un concert noise à Paris. Enfin, c’est lors du casting de la Fin de la Mort que j’ai retenu Eric Abrogoua. J’ai tout de suite accroché sur sa manière de s’emporter. Nous avons alors cherché lors des nombreuses répétitions les tons et gestes les plus justes.
Comme je craignais de me répéter et que je voulais gagner en intensité, j’ai fait appel pour chaque chapitre à des co-scénaristes (Philippe Rouy, réalisateur et Jean-Paul Jody, écrivain de polars et scénariste). Ensuite, j’ai choisi des lieux de tournage réellement différents : grand paysage de Gaspésie, brousse africaine, studio ou cave. Une multiplicité de lieux qui m’a permis de fixer des thèmes de dépossession différents les uns des autres : territoriale, cérébrale, sensorielle et enfin existentielle. L’idée du titre a surgi au cours du projet ; avant je parlais de perte de contrôle, de détournement, de complots ou de Transhumisme.
Pour chaque chapitre, les scénarios ont été écris avant de connaitre les lieux de tournage. En repérant ces derniers et leur potentiel cinéma (les acteurs et figurants, les accessoires et les possibilités techniques) j’adaptais les scénarios.
– Même si votre veine burlesque et satirique reste présente, vous procédez à un mélange des genres. Pourquoi ?
À chaque chapitre correspond une dépossession différente. Il m’est apparu nécessaire qu’ils aient un genre, un rythme, une couleur propre. Dans deux chapitres, les acteurs ne parlent pas ; dans un autre au contraire, le protagoniste ne s’arrête pas de parler. J’ajouter que j’attache une très grande importance au côté performatif vu sous l’angle du happening. De sorte qu’au moment du tournage, l’événement devient quasi plus fort que le récit. En témoigne la foule qui rentre dans l’eau ou dans la brousse jusqu’à disparaitre, ou encore les plans séquences qui ramènent à l’expérience tendue du tournage.