Nicolas Boone est de ceux qui réinventent le monde en images. Et son monde à lui est très particulier. Sorte de paysage embarqué ici de corps désorientés, là de cerveaux dépossédés ou ailleurs de géographies irritées. Tout se passe comme si rien ne s’était déroulé, comme si nous rejouions la boucle, mais quelle boucle ? Ici tout est simple, une seule et même matrice pour tous, celle d’un constat, celui de la catastrophe de l’uniformisation de nos esprits et vos corps en cette machine puissante de l’internet qui annihile chacune de nos marches et l’ensemble de vos membres. L’interface se déploie en une sorte de rhizome qui nous rappelle à nos empreintes digitales, à nos amours de silicium, à mille écrans, mille visages, mille et une connexions. Et ailleurs, juste aux abords de ces appels silencieux et de ces gestes inversés, se livre un paysage supplémentaire, sorte de hors-champ libre et dénudé. Que s’y déroule t-il ? Que s’est-il passé ? Qui y habite ? Qui est-il ? Evidemment, nous ne l’apprendrons jamais, car les 4 chapitres des Dépossédés se partagent cette zone aux allures spectrales, et ceci en toute discrétion, sous notre surface pré-programmée à présent devenue lisse. Nous ne pouvons qu’imaginer une suite de 0 et de 1 détruire nos fichiers résiduels, inverser le ressac de nos flux, supprimer la blessure la plus rapprochée du soleil. Des mathématiques sans chiffre, nous dit-il.
Pattern
film de Nicolas Boone, images de Marianne Tardieu et Ernesto Giolitti, année 2012, prises de vues steadicam de John Morrison
00:06:46:00
Il parle de corps nus, de corps désorientés, de ceux qui ne sont plus que des fantômes. Je vois une femme qui embrasse un homme mais je me trompe, elle l’aspire, elle suce sa substance, elle suce ses mots, ses pages et désirs. Puis, elle le quitte. Je vois des hommes qui dansent et d’autres qui relancent quelques corps éteints. Et puis, il y a ces deux corps allongés que les femmes continuent d’aspirer. Tout semble très calculé. Il fait froid dans cette cave biologique version boîte de nuit. Je regarde les écrans connectés, les femmes transférées, j’écoute cette suite bio-mécanique musicale et j’ai peur. Peur que le soleil reste immobile, peur de me faire séquencer ainsi, gazer, éjecter de ce paysage unifié qui est le mien. Cette plage similaire sur laquelle je demeure étendue là des nuits entières à contempler mon double gémellaire. Un monde sans soleil.
La fin de la mort
film de Nicolas Boone, année 2012, scénario de Jean Paul Jody et Nicolas Boone, images de Marianne Tardieu et Ernesto Giolitti
00:13:45:00
Il dit que nous sommes devenus immortels. Après 9 minutes et 59 secondes de paroles programmées, l’homme noir vacille, il le sent, ses yeux se transforment en billes blanches. Son corps s’envoute sous le silence des mots aspirés. Il dit de nos consciences qu’elles sont dépouillées, puis téléchargées. L’homme noir vacillera une seconde fois à 12 minutes et 17 secondes. Il dit qu’elles sont déjà dans nos corps, sous la peau et en tout ce qui nous entoure. Il dit que tout est falsifié, les océans aussi, les paysages des murs de briques, les champs de haricots, les ruelles de sable rouge, les caves boites de nuits, les rivages, les paysages. L’homme noir est un prédicateur.
Agnes de Cayeux / Mars 2015