Je n’ai pas situé la région, le pays, ni nommé le village pour montrer qu’il reflète une situation générale, que c’est un village africain déserté qui ressemble à beaucoup d’autres. Beaucoup de villages sont abandonnés, pour différentes raisons (politiques, climatiques ou viral -Ébola…). Le film parle de la conséquence de cette situation, non pas de ceux qui émigrent mais de ceux qui restent. En effet, j’ai volontairement choisi l’abstraction mais pour autant, l’Afrique n’y est pas qu’un décor : Psaume est une fiction dont le scénario a été écrit à partir de ce paysage-là et des vestiges d’une vie « moderne » qu’on y trouve. Il fait vraiment corps avec l’Afrique.
Pour moi, l’Afrique est le territoire de l’anticipation : nous sommes dans l’« après ». Psaume est un film sur l’effondrement de la « modernité ». C’est un retour au temps d’« avant » avec un futur en ruines − les charrettes brinquebalantes sont montées sur des roues de voitures, le seau du puits est un vieux bidon en plastique percé, un vieux fusil rouillé sert de canne, des robinets pris dans le béton ne fonctionnent plus depuis longtemps, les vêtements sont en loques, les personnages semblent avoir perdu le langage…
L’effondrement qui a eu lieu laisse place à l’intensité du vide, à l’attente − le souffle, le vent, la terre, le sel, les animaux abandonnés… Le récit du film est donc minimal : des personnages s’accrochent au temps puis le lâchent, d’autres prennent le relais, d’autres encore sont immobiles. Le film se déroule au rythme du pas de l’âne, qui est l’un de ses moteurs.
Je ne connaissais pas ce texte au moment de la réalisation du film mais après l’avoir lu, c’est vrai qu’il y a des similitudes très fortes : le fait de fuir en bande, mais aussi la quête sans espoir, la fuite vers la mer qui n’apportera que la mort… Pendant l’écriture du film, un ami m’a conseillé la lecture d’un essai, Les Iks, de l’ethnologue Colin Turnbull. Le texte, écrit dans les années 70, étudie une ethnie africaine de l’Ouganda qui était alors sur le point de disparaître. Turnbull y décrit les conditions de survie, la cruauté des individus les uns envers les autres. Face à la faim, l’individualisme prime, au sein des groupes ; elle devient la règle. Les Iks ont influencé les attitudes des personnages de Psaume puisque oui, en effet, les tensions dans les groupes ont toujours été moteurs dans mes films : dans Hillbrow, les survivants d’un quartier dévasté se regroupent en communautés ; dans Les Dépossédés, les masses sont victimes de manipulation ; dans 200%, les protagonistes (pris dans l’absurdité du système de banlieue) se regroupent aussi. Dans mes films, le groupe est toujours le personnage principal. Ici, c’est la foule qui est absente.
Pendant l’écriture de Psaume, j’ai également pensé aux films d’Artur Aristakristan. Leur dureté, leur étrangeté, leur poésie m’ont beaucoup marqué.
J’ai conçu le projet en mai 2014. Un ami m’avait parlé d’un village au Sénégal qui ressemblait à ce que je cherchais et où il y avait un campement susceptible d’accueillir une équipe de tournage. Je suis parti en repérages en août 2014. J’ai passé une quinzaine de jours sur place, à parler avec les villageois, à marcher, à écrire, à lire, et je suis rentré avec le scénario − un parcours photographié sur lequel pouvait s’inscrire le film −, et quelques acteurs en tête avec lesquels je voulais travailler.
Je voulais tourner avec Chris Vermaark, le steadycamer avec qui j’avais déjà travaillé sur Hillbrow. Nous avons fait le choix de réaliser la totalité du film en plan séquence, pour vraiment expérimenter le temps (j’ai travaillé avec un chronomètre pour pousser, ou retenir le temps). Dispositif essentiel qui nous a permis de saisir l’espace, le rythme, et de donner une tension au film. Avant le tournage, nous avons répété sur le terrain avec l’équipe technique, en effectuant le parcours prévu : mouvements de caméra, déplacements à effectuer en voiture – et comment monter et descendre du véhicule… −, cadrages, détails à filmer. Et avec les acteurs, nous avons précisé le jeu : leurs mouvements, leurs déplacements… Cheikh, notre fixeur sur place, a spontanément fait référence aux terribles sécheresses de la fin des années 70 qui ont dévasté le Sahel, ce qui a aidé les habitants à comprendre les enjeux du film et à y participer. Pendant le tournage, avec la contrainte du plan séquence, la direction d’acteurs s’est vue très délicate : j’ai vite compris qu’il fallait que ma présence y soit légère : ne pas leur donner d’indications pendant la prise (pour éviter qu’ils me regardent, qu’ils me demandent de préciser ce que je voulais). Alors j’observais, je mémorisais et je modifiais mes indications pour les prises suivantes (nous en avons tourné quatre en tout).
Le titre m’est venu pendant le tournage : en mettant en scène ces villages dévastés, dans lesquels errent des silhouettes vêtues de loques, l’acteur principal ne cessant de psalmodier dans sa langue natale, sans sous-titres, à l’état brut… J’ai spontanément envisagé la poésie très cruelle des psaumes : procès par la peste, l’incendie, la tempête, retournement de la terre… Le film ramène à un temps lointain, celui de la genèse… Comme si la modernité agonisante croisait le recommencement.
Le titre du film n’est donc pas si empreint de religion que ça !