Entretien HILLBROW FID 2014 / HILLBROW Interview FID 2014

Entretien paru dans le journal du FID 2014 / propos recueillis par Olivier Pierre

Vous aviez déjà tourné en Afrique du Sud en 2012, à Soweto, pour Kliptown Spring, ce film se déroule à Johannesburg, qu’est-ce qui vous intéressez dans cette ville, et ce quartier en particulier, Hillbrow ?

En septembre 2012, j’ai été invité pour un workshop par Eat My Dust, un atelier cinéma pour les jeunes, basé dans le township de Kliptown à Soweto. Avec eux, j’ai choisi de travailler sur le plan séquence. Nous en avons regardé et analysé plusieurs, au cinéma et dans l’art contemporain. Puis nous sommes passés à la pratique en réalisant un plan de 7 min, dans lequel nous avons cherché à synthétiser et intensifier la vie du quartier. Pour le réaliser, nous avons fait appel à un steadycamer, Chris Vermaak. Rencontre décisive pour la suite.

Pendant ce premier séjour, j’ai eu le temps de découvrir d’autres quartiers de Johannesburg. J’ai marché une journée dans Hillbrow et ai senti un potentiel cinématographique: la structure labyrinthique et la densité du lieu m’ont inspiré.

Construit sur le flan d’une colline, d’où son nom, Hillbrow était dans les années 60 et 70 un centre actif. Depuis les années 90, des migrants sont venus en masse de toute l’Afrique, différentes mafias se sont installées pour contrôler le quartier et les plus riches sont partis. La violence entre par toutes les portes, les immeubles et les anciennes villas sont squattés… La situation est trash. C’est un endroit où le paysage urbain est mouvant car les gens déménagent, des JFK s’installent à la place d’autres commerces, les chambres surpeuplées et insalubres flambent… Tout semble muter. Pendant le tournage, à chaque prise de vue d’un même plan, la rue était différente.

Quelle était la base du scénario ?

Il y a quelques années, j’ai découvert Elephant d’Alan Clarke. En me baladant dans Johannesburg, j’ai repensé à la structure formelle de ce film: des parcours qui suivent des personnages, mis bout à bout. En novembre 2013, lorsque je suis retourné à Hillbrow faire des repérages, j’ai marché pendant 15 jours avec des jeunes d’un club photo qui s’appelle I Was Shot. Ils m’ont guidé à travers le quartier, sur les toits, dans les squats, les appartements, les night clubs… J’ai commencé à rencontrer beaucoup d’habitants qui m’ont parlé de leur quotidien. Très souvent, cela devenait des récits d’agression. Je m’en suis inspiré pour écrire les scènes du film, mais aussi avec la volonté, comme pour Kliptown Spring, de tourner une fiction dans le réel.

Le film propose aussi une traversée de l’espace du quartier ?

Oui, une vision transversale même. Chaque plan trace une ligne et le tout finit par former un portrait, voire une empreinte du quartier. Les lignes suivent les reliefs, les accidents du terrain et les niveaux d’architecture : des courbes, des couloirs, des escaliers… dessinant tantôt une spirale anamorphosée, tantôt des zigzags. Le film monte et descend sans cesse. Franchissant des barricades, des barbelés, jusqu’à pénétrer l’intimité des lieux, ces déplacements transgressent les limites pour trouver le centre de gravité de ce paysage.

Comme dans Kliptown Spring, vous avez choisi le plan-séquence pour ce film.

Je voulais retravailler avec Chris Vermaak, le chef op qui avait filmé Kliptown Spring, car, dans l’action du tournage, il a une très bonne intuition et fait toujours les bons choix de cadrage. Je lui montrais des dessins et des photos que j’avais faits des parcours, et nous allions systématiquement ensemble sur les lieux pour rechercher les possibilités techniques. Nous avons tout filmé avec un appareil photo, focal fixe (un 35 min).

Déjà dans l’un de mes précédents films, Les Dépossédés (2013), deux des chapitres étaient des plans séquences. Pour moi, c’est un moyen d’évacuer le problème du montage, et de penser l’intégralité du rythme de chaque plan avant de tourner. Et j’aime quand le tournage devient une performance. Il devient alors le vrai moment du film et tous ceux qui y participent en portent la responsabilité. Cela me ramène à mes premiers films qui n’étaient que des tournages.

Hillbrow est composé de dix plans-séquences, comment avez-vous pensé la construction du film ?

En tournant 10 plans, je voulais voir 10 lieux pour obtenir 10 moments vraiment différents et en montrer le plus possible, des toits jusqu’ au fond des parkings, d’une infrastructure sportive à un cinéma, des squats les plus insalubres à une épicerie… chaque plan est un déplacement géographique…

Chaque séquence commence et finit par un plan fixe, ce qui nous a permis de chercher Philippe Rouy et moi, lors du montage, la meilleure combinaison. C’est à dire trouver les bons raccords entre les plans et donner du sens à la structure globale. Finalement, l’ordre des plans est organisé selon la temporalité d’une journée : le film s’ouvre avec le soleil au zénith, puis avance vers la nuit et finit avec la lumière du petit matin.

Comment avez-vous travaillé avec les habitants du quartier, les acteurs ?

A Johannesburg, j’ai rencontré Marcus Mabusela qui monte des pièces de théâtre avec des junkies et prostitués de Hillbrow, il est devenu l’un des fixeurs (guide pour aborder le quartier) du film. Avec lui, j’ai visité la maison squattée du film et rencontré ses habitants. Ils m’ont raconté leur histoire : les années de prison suite à des attaques à mains armées, les passes nocturnes dans les ruelles, la drogue… Quand je leur ai proposé de tourner dans mon film, ça leur a beaucoup plu. Dans ce quartier, même les plus pauvres sont toujours hyper sapés, ils soignent leur image et donnent l’impression d’être tout le temps en représentation. Rapidement, j’ai fait le choix de ne pas les diriger. Moins je leur en disais, mieux c’était. Le scénario ne comportait aucun dialogue, mais ils se sont mis à parler spontanément, c’était bien.

La mise en place des plans-séquences a nécessité quels moyens ?

Pendant le tournage, si l’on ne compte que l’équipe technique, nous étions 10 : le cameraman, le pointeur, un machiniste, l’ingénieur son, un percheman, 2 bad boys (fournis par la mafia qui s’occupe de la sécurité du quartier), 2 fixeurs, Romain Flizot, mon fidèle assistant et moi. Pour chaque plan, nous faisions 2 ou 3 prises, en faisant au mieux pour qu’à chaque fois la première soit la bonne ! Nous ne pouvions pas enchaîner les prises, parce que le travail de Chris est très physique, et je ne peux pas demander aux acteurs de refaire une scène indéfiniment comme dans le cinéma plus classique. Souvent, plus ils refont, plus ils surjouent et s’éloignent dans le burlesque.
Le tournage a duré 5 jours, 2 plans par jour.

Au niveau du son, quels étaient les choix ?

Nous avons tenté d’être au plus près des sons de la ville et des acteurs.
Techniquement, nous avions un micro perché, plus quelques micros HF (micro cravates) posés sur les acteurs, pour capter leur souffle et leurs mots. Ensuite Thomas Fourel a réalisé le montage et mixage son avec les différentes sources. Il a enregistré à Paris les sons manquants, pour rendre l’image plus lisible, plus limpide, un peu comme une rivière…

Le Rêve de Bailu, votre précédent film, tourné en Chine, était construit sur ce principe de plan-séquence, pouvez-vous évoquer le projet ?

C’était lors d’une résidence dans la province du Sichuan, dans un village français, fabriqué en Chine! En 2008, un tremblement de terre a détruit tout un village traditionnel, que le gouvernement a décidé de reconstruire en mixant un peu d’Alsace, de Bretagne, de châteaux de la Loire… Comme mon projet était suivi de très près par les autorités, j’ai décidé de jouer pleinement leur jeu, c’est-à-dire de faire un film de propagande. J’ai activé la vie du village, pour en faire Le Rêve de Bailu, un lieu où tous les habitants sourient…

 

HILLBROW Interview FID 2014

This interview was published in the FID journal 2014. Interview by Olivier Pierre

You worked in Soweto, South Africa in 2012 to shoot Kliptown Spring. This film takes place in Johannesburg, what interests you about the town and the Hillbrow neighbourhood in particular?

In September 2012, I was invited to the ‘Eat My Dust Workshop’ – a film workshop for young people based in the Kliptown Township in Soweto. I decided to work on the sequence shot with them. We watched and analysed several examples in film and contemporary art. Then we made some ourselves with a 7-minute long shot in which we attempted to condense and intensify life in the neighbourhood. We enlisted the help of a Steadicam professional, Chris Vermaak to direct the sequence. Meeting him was pivotal for my future projects.
During my first stay in the country I had time to explore other neighbourhoods in Johannesburg. I spent a whole day walking around Hillbrow and felt that the place had great potential for filming – the labyrinthine layout and density of it inspired me.
Built on a cliff face which lends the area its name, Hillbrow was an active area in the 60s and 70s. Since the 90s, migrants from all over Africa have settled there, each with their own mafia groups vying to control the neighbourhood and pushing the richest residents to leave. Violence is on every doorstep and the high-rise flats and villas are all squatted. The atmosphere is squalid and it has turned into an urban landscape in constant flux as people move out as soon as they can. The JFK move in where shops used to be and insalubrious, overcrowded housing is rapidly on the increase. Everything seems to be changing fast. While we were shooting, when we planned each shot the street looked different every time.

What formed the basis of the script?

A few years ago I came across Elephant by Alan Clarke. When I was walking around, I thought of the formal structure of that film: the paths the protagonists take, put back to back. In November 2013, when I returned to Hillbrow location scouting, I walked around for 15 days with members of a youth photography club called ‘I Was Shot’. They guided me through the neighbourhood, over the rooftops, in and out of the squats, flats and night clubs. I began to get to know the residents who talked to me about their daily lives. These stories quickly turned to accounts of aggression which, along with their zeal, inspired my script-writing and, as with Kliptown Spring, made me want to shoot a fiction film in a real context.

Does the film take us through the neighbourhood?

Yes, it’s actually a cross-street vision. Every shot traces a line and each line forms a portrait, like a fingerprint of the neighbourhood. The lines follow the relief of the undulating landscape and different architectural levels:  the curves, corridors and stairways, whose zig-zags merge to form a spiral which the film travels up and down constantly, jumping over the barriers and cutting through barbed wire to enter into the intimacy of these places, travelling freely to the centre of gravity of this urban landscape

Similarly to Kliptown Spring, you chose sequence shots for this film, why?

I wanted to work with Chris Vermaak again, who was the Director of Photography on Kliptown Spring, because in the thick of the shoot he has very strong intuition and always makes good framing choices. I showed him the drawings and photos I had taken on location and we went straight back to Hillbrow to research the locations and technical details. We shot the whole film with a 35mm camera, with a fixed telephoto lens.
In one of my previous films, Les Dépossédés (2013), I used sequence shots for two of the chapters. For me, it’s a way of avoiding the problem of editing and thinking about the whole rhythm of each shot before filming. I also like it when the shoot becomes a performance space and a genuinely filmic experience and a shared, live responsibility for everyone on set. It takes me back to my first films which were shot from the hip.

Hillbrow is made up of ten sequence shots, how did you construct the film?

I wanted to shoot the ten sequences in ten different locations to create ten distinctly different moments in time and show as much of the area as possible – from the rooftops to the carparks, a sports ground to a cinema, from the most filthy squats to a general store… every shot moves geographically.
Each sequence starts and finishes with a still shot, which allowed Philippe Rouy and me to find the best combinations of locations during the edit. That is the shots and juxtapositions that gave the best sense of overall structure to the whole thing. Finally, the order of the shots was organised according to the time of day. The film opens with the sun scorching overhead, then night gradually falls and finally dawn rises.

How did you work with the residents and the actors?

In Johannesburg I met Marcus Mabusela who puts on plays with junkies and prostitutes from Hillbrow. He became one of our fixers (a guide to tackling the neighbourhood) on set. I visited a squatted house with him and met the people who lived there with him. They told me their life stories – years spent in prison for armed robbery, drug abuse, and nights out roaming the streets. When I asked them to appear in my film they were glad to. In the neighbourhood even the poorest are really well dressed, keeping up appearances and giving the impression they are on show at all times. I soon made the decision not to direct them and the less I said, the better it was. The script didn’t contain any dialogue and they began talking spontaneously, it was great.

What did you need to put the sequence shots in place?

On the shoot, there were ten of us in the technical team alone: the cameraman, the time keeper, the grip, sound engineer, perch man and two bad boys (supplied by the local mafia who took care of neighbourhood security), two fixers Romain Flizot, my faithful assistant and me. We made two or three takes for each shot and did our best to ensure that every time the first take would be the best! We couldn’t do take after take because Chris’ work is very physical and I couldn’t ask the actors to re-do the scenes indefinitely as they might in a more conventional film. Often as not, the more they did a scene, the more they over-acted and veered towards a hammy performance.  The shoot lasted for five days with two shots a day.

In terms of the sound work what choices did you make?

We tried to keep as close as possible to the ambient sounds of the town and the actors.
On a technical level we had a boom and a few clip-on HF mikes which the actors wore to capture their breathing and what they said. Then Thomas Fourel mixed and edited the sound from the various sources. He recorded further sounds in Paris to make the images clearer and more legible – rather like a stream.

Le Rêve de Bailu, your previous film shot in China, was shot using sequence shots, could you tell us about the project?

I shot it during a residency in the province of Szechuan, in a French village, made in China! In 2008, an earthquake completely destroyed a traditional village and the government decided to rebuild it combining elements from Alsace, Brittany and the Châteaux of the Loire! The authorities kept a very close eye on my film and so I decided to play into their hands and make a propaganda film. I brought the village to life to make Le Rêve de Bailu, a place where every resident has a smile on their face!