Notes sur Bailu / Notes on BAILU DREAM

Vu de loin, le village de Bailu ressemble au logo d’une affiche électorale française, une image pittoresque. De plus près, c’est une juxtaposition de différentes régions, une maison alsacienne côtoie une demeure normande, un château de la Loire… Mais dans les rues, tous les passants sont chinois, le drapeau chinois rencontre un clocher, la France est chinoise. Ce village est fictif, c’est un parc d’attractions. Pour les Sichuanais qui y viennent, c’est un raccourci, la France par téléportation.

La Chine se construit avec les marques des autres. Elle emprunte, imite, fabrique des avatars, devenant elle-même avatar. Par sa capacité de production très forte, tout vient à elle et il ne lui reste qu’à copier. La Chine veut rejoindre le reste du monde, et même se l’approprier. D’autres « villages-parcs  » existent en Chine comme le Parc du Monde de Pékin avec des Pyramides égyptiennes, Tour Eiffel, Statue de la liberté, Taj Mahal; ou encore, dans la province du Guangdong, la réplique d’un village autrichien est en cours de construction … La Chine exporte dans le monde, la Chine importe le monde.

Le gouvernement chinois est à l’initiative de ce décor. Répondant à l’intérêt du pays pour le vieux continent, il a remplacé un village détruit par un tremblement de terre en 2008 par un village français, destiné au tourisme. Les villageois ont été chassés plus loin.  Les nouvelles maisons, difficilement aménageables, sont restées vides ou ont été transformées en hôtels, restaurants, épiceries.

Bailu est un piège pour attirer le consommateur. Les visiteurs deviennent les acteurs d’une mise en scène, ils jouent les touristes, mais les constructions sont pauvres, mal faites, temporaires: trop petites, avec des façades qui vieillissent mal, des peintures criardes qui ont coulé… un kitsch non assumé. Phénomène hyperbolique, le cas Bailu est la simulation désastreuse de l’artefact occidental. Il représente la pire mise en abîme du touristique planétaire. En Occident aussi les villages deviennent des représentations du pittoresque spectaculaire marchand. Lente agonie d’un rêve hystérique ou Bailu comme une avancée du désastre.

Dans le village, il règne une cacophonie de karaokés, ils y sont nombreux. Tout sonne faux, c’est un village-karaoké.
Très présent en Chine, le Karaoké est un dispositif qui consiste à chanter en playback un tube, sur une musique sans paroles, celle-ci défilant sur un écran avec le clip vidéo. Le chanteur s’identifiera à une star, le temps d’une chanson. Comme activité collective, le karaoké est un succédané du cinéma.

Avec la réalisation d’un film en un plan séquence, le réel est pris en étau entre deux exigences : il doit se plier aux contraintes politiques et se soumettre à la mise en scène d’un tournage.  Les acteurs, des villageois désignés par le gouvernement, sont embarqués dans le chaos du tournage. Ils ont un sourire appliqué, forcé, voire terrifié. Souvent, ils agissent comme si la caméra ne les voyait pas. Ou encore, ils n’évaluent pas justement son passage et restent dans le champ au lieu de disparaître, ou sont déjà là alors qu’ils devaient y entrer. De nombreux passants surpris par le tournage regardent la caméra. A un moment, le cameraman, fatigué, hésite, l’image tremble et la voix de l’assistante, dans la panique du tournage, agresse les acteurs et les figurants. Ces interactions créent des effets de résistance. Il en résulte une fluidité artificielle et forcée, qui laisse entrevoir la violence exercée sur les villageois. Des éclats de réel apparaissent, celui d’un décor inhabitable en même temps que le réel d’avant 2008. Le tournage fait resurgir un hors champ écarté. Par le ballet maladroit des personnages, le plan séquence conduit à l’organisation d’un vaste karaoké « live », spectaculaire et entraînant, comme une prolongation du sourire général.

Le Rêve de Bailu était une commande. Il fallait faire un film qui ne dérange pas, un film où les gens sont heureux, un film de propagande. Au final, il oscille entre les deux extrêmes, une fluidité artificielle et colorée qui plaît aux officiels, et une réalité plus crue, plus humaine.

Nicolas Boone 2013 (merci à Vanessa Morisset pour sa relecture)

 

 

Notes on BAILU DREAM, NB, 2013,      translated from French by Eve Judelson

From a distance, the village of Bailu looks like the logo poster for the French elections, a quaint image. Get closer and you see a juxtaposition of various different regions, a house from Alsace next to a Normandy cottage, then a chateau from the Loire Valley. However, all the people walking in the streets are Chinese, the Chinese flag is draped over a steeple – France has turned Chinese. This village isn’t real, it’s a theme park. For the Sichuan visitors that flock here it is a tele-transportation shortcut taking them to France.

China is constructed using other countries’ brands. They borrow, imitate and create avatars that in turn become avatars themselves. Through their impressive manufacturing capability, everything comes to China and all that is left to do is copy. China wants to catch up with the world and even take it over. There are other similar parks in China, so-called ‘village-parks’ like the Peking World Park which includes the Egyptian pyramids, Eiffel Tower, Statue of Liberty and Taj Mahal. In the province of Guangdong, a replica of an Austrian village is currently under construction. China exports all over the world and imports the world.

The Chinese government initiated these projects in response to the public’s interest in the old continent. A village that was destroyed in an earthquake was replaced in 2008 by a French village aimed at tourists. The villagers were displaced and new houses which proved difficult to convert remained vacant or were turned into hotels, restaurants, or delicatessens.

Bailu is a tourist trap for unwitting consumers. Visitors walk onto this stage, playing tourists but the décor is shabby, flimsy and not built to last: the set is too small and the facades are not aging well, painted in garish colours that are peeling – screamingly kitsch. In Bailu’s case, this grossly exaggerated phenomenon is a disastrous simulation of Western aesthetics which represents the worst possible manifestation of global tourism. In this embodiment of the West, villages are fast becoming representative of the picturesque spectacle of commerce: the slow agony of a hysterical dream, in which Bailu marks the progress of doom.

In the village, the cacophony of a host of karaoke machines rings out. Everything sounds out of tune in this karaoke village. Highly popular in China, karaoke is a form of entertainment that consists of singing a hit in playback to a backing track while the lyrics run across the screen against a video. The singer feels like a star while they sing the hit and this past-time has taken over from the popularity of cinema.

Making this film with sequences of shots, set pieces, reality is caught between two constraints – the confines of politics and the mise en scene during the shoot. The actors – villagers chosen by the government – are plonked into the chaos of the shoot. They wear forced smiles, at times looking terrified. Often, they react as though the camera didn’t spot them, or even not taking it into consideration, sometimes staying in shot instead of getting out of the frame or not moving in or out of a shot when they should. Many passersby, surprised by the shoot, look straight at camera. At one point, the tired cameraman hesitates, the images shakes and the assistant, caught up in the panic of the shoot shouts at the actors and extras.   These interactions create moments of resistance which then give way to an artificial, forced flow, which allows us to see the violence the villagers are subjected to. We catch brief glimpses of reality including the uninhabitable ‘set’ and the pre-2008 reality. The shoot brings what has been squeezed off camera to the fore, through the clumsy ballet of the characters, the sequence of shots that lead up to the organisation of a huge live karaoke show and the continuation of the collective grin.

BAILU DREAM is a commission. The film had to be inoffensive, show shiny happy people – a propaganda film. In the end, it vacillates between two extremes – a fluid, colourful artifice which pleases the officials and a cruder, more humane reality.

Nicolas Boone 2013 (thanks to Vanessa Morisset for the first reading)