LE RÊVE DE BAILU 12′
Bailu, dans la province du Sichuan, a été détruit en 2008 par un tremblement de terre. Le gouvernement chinois a décidé de reconstruire un village français.
le film est une traversée du village, il croise ses habitants dans leurs activités.
Le Rêve de Bailu est une commande. Le gouvernement est craint, il faut faire un film qui ne dérange pas, un film où les gens sont heureux, un film de propagande. Finalement, le film oscille entre les deux réalités, une fluidité artificielle et colorée, image qui convient aux officiels et une réalité plus crue, plus humaine.
Notes / NB
Le village, vu de loin, ressemble au logo d’une affiche de campagne électorale française, une image pittoresque; de près, le village est une association de différentes régions françaises: une maison alsacienne côtoie une maison normande, puis un château de la Loire, un village fictif, donc. Pour les Shichouanais, c’est un raccourci, la France à portée de main. La téléportation est l’unique divertissement de ce parc. Dans les rues, tous les gens sont chinois, le drapeau chinois juxtapose un clocher, la France est chinoise.
La Chine se construit avec les marques des autres. Elle emprunte, imite, fabrique des avatars, devenant elle-même avatar. Par sa capacité de production très forte, défiant toute concurrence, tout vient à elle, il lui reste juste à imiter. La Chine veut s’unifier au reste du monde, ou plus, l’empire du milieu veut se réapproprier le vieux continent, son histoire. D’autres villages « parc » existent en Chine comme le parc du Monde de Pékin avec pyramide, tour Eiffel, statue de la liberté, Taj Mahal, etc. ; dans la province du Guangdong, la réplique d’un village Autrichien est en cours de construction … La Chine s’exporte dans le monde, la Chine importe le monde.
Le karaoké, très présent en Chine, consiste à chanter en playback un tube sur une musique dépourvue de paroles qui défilent sur un écran avec le clip vidéo. Le chanteur s’identifiera, se mettra dans la peau d’une star, pendant l’espace d’une chanson. Le karaoké, activité collective, est un succédané du cinéma. Dans la ville de Bailu règne une cacophonie de Karaoké provenant des restaurants, c’est un village rempli de karaoké, il sonne faux, c’est un « village Karaoké ». Bailu est un piège tendu pour attirer le consommateur. Les visiteurs sont acteurs dans une mise en scène, ils jouent les touristes, mais le décor est pauvre, mal fait, éphémère, avec des problèmes d’échelle : tout est trop petit, ou encore, les façades vieillissent mal, les peintures criardes coulent… sans qualité donc, un kitsch non assumé. L’entreprise esthétiquement est « morte dans l’œuf », sans aura… Le cas Bailu, phénomène hyperbolique, est la simulation désastreuse de l’artefact occidental. Il représente la pire mise en abîme du touristique planétaire. Comme si la Chine était en avance sur l’avenir du Monde. En occident, les villages régionaux de plus en plus dénaturés, rénovés, désinfectés s’unifient, le décor ne correspondant plus à aucune civilisation, le village France touriste n’est plus que la représentation du pittoresque spectaculaire marchand, un décor au sourire permanent, un kitsch flamboyant, des ombres délavées prises pour une réalité de plus en plus incertaine. Lente agonie d’un rêve hystérique, ou Bailu comme une avancée du désastre.
Dans le plan séquence, le réel est pris en étau entre deux exigences : d’une part il doit se plier aux exigences politiques, et de l’autre se soumettre à la mise en scène d’un tournage. Le gouvernement chinois est à l’initiative de ce décor. Il est victime de l’intérêt général du pays pour le vieux continent, il réalise un désir national en remplaçant un village détruit par un tremblement de terre par un village français destiné au tourisme. Les villageois ont été chassés de leur village. Ces nouvelles maisons, difficilement aménageables, soit sont restées vides, soit ont été transformées en hôtels-restaurants ou en épiceries. La réalisation d’un film en plan séquence est l’autre tour de force. Les acteurs, villageois désignés par le gouvernement, sont pris dans le chaos du tournage. Ils ont un sourire appliqué, forcé, voire terrorisé. Ils agissent comme si la caméra ne les voyait pas, se baissent, s’écartent pour ne pas être vus, ou encore n’évaluent pas justement le passage de la caméra, restent dans le champ au lieu de disparaître ou sont déjà dans le champ alors qu’ils devaient y entrer. De nombreux passants surpris par le tournage regardent la caméra. De cette fluidité artificielle et forcée se dégage une violence exercée sur les villageois. Des éclats de réels apparaissent, le réel d’avant 2008 ou celui d’un décor inhabitable. Le tournage fait resurgir un hors-champ écarté. Le cameraman fatigué hésite, l’image tremble et la voix de l’assistante, dans la panique du tournage, agresse les gens. L’interaction des acteurs avec les autres villageois, comme une résistance, les rattachent au réel. Le plan séquence par ces ballets maladroits de personnages mène à un karaoké « live » spectaculaire et entraînant, comme une prolongation du sourire général.
Le Rêve de Bailu est une commande. Le gouvernement est craint, il faut faire un film qui ne dérange pas, un film où les gens sont heureux, un film de propagande. Finalement, le film oscille entre les deux réalités, une fluidité artificielle et colorée, image qui convient aux officiels, et une réalité plus crue, plus humaine.