Lost Movie

Samedi 14 juin

9h00 : L’équipe émerge, la gueule de bois est générale. La veille, ils ont vidé deux cartons de rouge en faisant les repérages, ne pouvant résister à la tentation de jouer à la guerre. L’atelier déborde d’ accessoires, costumes, système son. Des matelas jonchent le sol. Mr et Me en profitent pour répéter la scène du baiser et se roulent une pelle froidement s’en se connaître. Sur la place d’arme, personne ne passe a coté de la cafetière italienne, remplie plusieurs fois avant qu’on ne commence à trimbaler tout le matériel sur-le-champ de bataille. Un fourgon déguisé en convoyeur de fond va et vient entre l’atelier et le plateau.

A présent le système son fonctionne presque mais il manque des adaptateurs. Quelques-uns filent chez Auchan ou Darty, chercher l’introuvable. Finalement, un type de Paris amènera l’XLR-RCA. Pendant ce temps, un ruban jaune « CAUTION » se déploie sur le chantier : Une section est réservée à la cantine, une autre au costume, une à l’ingénieur son. L’équipe grossit, dont les membres arrivent par différents RER. Le barbecue allumé, le pain acheté, la sono marche à peu près : Le dj balance quelques morceaux de hip-hop. Juste avant que les merguez ne soient cuites, tonnerre, éclairs, il se met à tomber des cordes sur la caserne. De grandes bâches bleues et vertes kakis protègent l’installation mais le planning est mort, le retard s’accumule. Le barbecue bien éteint, l’équipe mange ses chipolatas mi-cuites en faisant des incantations diaboliques pour que l’eau cesse de tomber… Résultat concluant puisque les nuages partent. Les talkies-walkies ont pris l’eau, une bonne moitié de l’équipe est absente, certes, mais le fourgon blindé est en place, le cadrage se fait : La guerre aura bien lieu.

C’est alors que Mr arrive, enfile son imper, et son chapeau. On lui remet un revolver. La même chose pour Mme et c’est ok, on balance : Clap, action ! Un fourgon entre dans le champ, Mr et Mme tirent dessus, projetant des tâches rouges et bleues sur les panneaux blancs du véhicule. Dérapage. Trois vigies femmes sautent du véhicule et leur tirent dessus ainsi que d’autres figurants déjà perdus. « Ok, on refait ». Ca ne va pas pour le réalisateur, qui voudrait que l’on meure dans le champ. Difficile pourtant, de faire comprendre où est le champ du hors champ à ces acteurs déjà morts… « Scène 2 ». Toujours en retard, le clap ne sert à rien, de même que l’inscription à la craie, souvent fausse. Les projecteurs de 2 kW semblent là pour décorer. Assiste-t-on au tournage d’un vrai film ? Dans le doute, on ne veut pas déranger : Les spectateurs restent distants, s’assoient dans l’herbe, ou simplement ralentissent le pas. D’autres, en bande ou en famille s’approchent et intègrent des rôles de figurants.

Les scènes se succèdent les unes aux autres : Du clip vidéo hip-hop à la chanson sentimentale, de la boucherie sanglante à la déferlante de mitraillette accompagnée de fumigènes, en passant par du bpm costaud et ses danseurs en transe, et toujours ce lapin échappé d’Eurodisney ou d’un plateau télé. Celui-ci, mort quelques instants, bondit à nouveau, une mitraillette dans les pattes, devant Mr et Mme qui s’embrassent…Plus que dans la puissance d’une scène, c’est peut être dans ce melting pot d’images et de sons qu’il faut chercher le film. En attendant, on peut aller se rassasier a la buvette, sans perdre une miette de ce film-tournage décidément très convivial. De là on observe, un verre de rouge à la main, le metteur en scène devenir presque aphone à force d’hurler sous sa casquette orange pendant qu’une trentaine de personne s’agitent. L’activité, voire l’hyper-activité, est impressionnante et les actions s’enchaînent bon train.

Et pourtant, cette histoire n’évolue pas comme de coutume. Les deux héros, Mr et Mme, le lapin dont la taille et le poids varient, les bidasses, reviennent sans cesse au détour de scènes séduisantes, absurdes, spectaculaires ou violentes. Ces personnages traversent différents clichés du film de guerre sans pour autant fixer l’histoire : Ils s’y perdent, comme toutes les narrations qui y naissent.

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